Tout le temps pressés - Glouton

Chroniques d'un commis d'épicerieTout le temps pressés

3 min de lecture

La porte barrée claque. Je sursaute. Coup d’œil à mon cell, on ouvre dans une demi-heure. Dehors, une personne beige consulte l’horaire. Elle remarque la pancarte « FERMÉ » écrite en grosses lettres, noir sur blanc. Elle tire à nouveau, la secousse se répercute en ondulations au fond de mon premier café.

Ça se produit chaque matin avant l'ouverture. C’est écrit dans la porte. Pourtant, le monde tire une fois, deux fois, trois fois. Ça arrive tellement souvent qu'on a passé quatre poignées portes en quelques mois. Je suis allé acheter « THE » poignée à 500 piasses pour les cas d'épidémie zombie. Après un an de chocs violents, je peux écrire sans gêne que c'était un bon move.

L'autre jour, avant l'ouverture, un client se faufile à l’intérieur de l'épicerie par la porte de côté, pendant qu’on sortait le recyclage.

« Il est où? » me demande un collègue.

« Aucune idée. »

On lance une battue. Je le spot en flagrant délit de magasinage avant 9h. Il sélectionne mes oignons les plus jolis tout de go. Je lui dirais de décrisser, mais je formule ça poliment, façon service à la clientèle :

-Bonjour monsieur.

-Bonjour, qu’y répond.

-Je voulais juste vous indiquer que nous ne sommes pas encore ouverts.

-Ah?

-Ben non, la caisse n’est pas ouverte. Vous êtes entrés par la sortie.

Il enregistre l’information avec une grimace, puis repose ses oignons. « Vous ne pouvez pas faire une exception? » Je m'excuse en l’expulsant, puis la personne quitte. Je n’ai jamais revu ce client entré avec les vidanges par un doux matin de mars.

Leçon fraîcheur

Mon épicerie bouleverse la notion du temps. J'ai des clients tout le temps pressés. Certains disent qu'ils n'ont pas le temps de cuisiner. Il y a un monsieur que je vois fouiller dans mon over. Il étire son bras pour aller chercher le brocoli le plus éloigné de l'étalage. Je sais qu'il pense, d'une savante manœuvre, s'emparer du légume le plus frais de la batch. Celui qui a été placé en dernier.

Pas peu fier, le client s'éloigne avec sa prise. J'aimerais lui dire que son Brocc a séché dans la glace d'une boite de carton, barouettée à travers l'Amérique par divers camions réfrigérés avant d'arriver dans son panier. Que sa position dans l'étalage ne change rien du tout. Que la notion de « frais » est vague l'hiver au Québec. Tant pis pour lui. Et tant mieux pour moi, lui expliquer ma théorie du séjour relatif des brocolis en camions réfrigérés pourrait être mal perçue.

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Louis le commis

Anthropologue amateur du commerce au détail, flexivore et un brin poète, le commis d'épicerie ose comparer les pommes et les oranges.

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